justice
Faut-il se venger pour se reconstruire ?
Par math-bernard | Le 20/12/2018 | Commentaires (6)
Qu’est-il de plus insupportable qu’un crime ? Que le coupable échappe à la punition. Dans Lorenzaccio d’Alfred de Musset, Philippe s’exclame après la mort de sa fille : « Je demande l’aumône à la justice des hommes. Je suis un mendiant affamé de justice. » (Acte III, scène 3).
Mais la justice, disons-même, la vengeance, puisque ces deux concepts sont souvent interchangeables, est-elle nécessaire pour se reconstruire après un traumatisme ? Qu’en est-il lorsque l’auteur d’un acte criminel échappe à la sanction au grand dam de la famille de la victime ?
De la haine à l’apaisement
Jean-Pierre Malmendier, père d’une jeune fille assassinée, évoque une « douleur atroce » et une « angoisse indicible » dans son parcours de deuil. Sa fille, âgée de 17 ans, avait été sauvagement tuée par deux hommes en libération conditionnelle. Dans son processus de résilience, il va finalement entreprendre des démarches pour rencontrer le meurtrier en prison. En définitive, la finalité de son cheminement ne sera plus la recherche d’une vengeance aveugle, mais d’une « justice restauratrice ». Une justice consistant à repenser le système pénitentiaire de manière à « rendre l’individu meilleur », et donc, à prévenir la récidive. Il explique : « [Il m’a fallu trois ans] pour reconnaître le droit d’exister à l’être humain que je poursuivais de ma haine la plus atroce depuis 15 ans ».
La vengeance : un instinct humain
Si ce regard constructif sur le criminel est possible lorsque le sujet a été appréhendé et sanctionné par la justice, qu’en est-il lorsqu’il est passé entre les mailles du filet ? Oui, il existe quelque chose d’encore plus effroyable qu’être une famille de victime. C’est l’absence de justice pour notre enfant, notre sœur, notre conjoint… Si le coupable n’est pas identifié et châtié, la sensation de perte va se doubler d’un vide existentiel, effarant, celle du non-sens de la vie et de l’absurdité des choses. La pensée que le deuil ne peut pas être achevé, que la page ne peut pas être tournée, que la reconstruction ne peut être accomplie.
Aussi, depuis la nuit des temps, la vengeance est au cœur des sociétés humaines. Avant l’élaboration des systèmes judiciaires étatiques, il était entendu qu’un crime ne pouvait rester impuni, qu’une justice non rendue faisait peser sur le collectif une sorte de malédiction immanente. Dès lors, la vengeance était une norme sociale tout à fait acceptée.
La Bible elle-même, dans la Torah, avait édictée le principe de « vengeur de sang », en cas d’homicide involontaire. Le plus proche parent de la victime était en droit de tuer le coupable, à moins que ce dernier ne se réfugie dans l’une des 6 villes de refuge d’Israël.
Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que la justice, à défaut la vengeance, apparaît comme une nécessité pour retrouver un semblant de sérénité. Si la morale nous suggère le pardon ou l’absence de représailles, nos instincts naturels nous font envisager une autre réalité : l’anéantissement pur et simple de l’auteur de notre malheur ! Le philosophe Michel Erman, auteur du livre Eloge de la vengeance, écrit : « La vengeance est une réalité anthropologique : l’homme ne peut y échapper (…). Elle est le désir de restaurer son être lorsqu’il a été dégradé par une offense. »
Donc, que se passe-t-il lorsque le besoin de vengeance n’est pas satisfait ? Peut-on vivre malgré tout ou est-on condamné à dépérir progressivement ?
Mildred ou la dernière rose d’été
Three billboards est probablement l’un des meilleurs longs-métrages de ces dernières années sur la thématique de la vengeance. Mildred Hayes, dont la fille a été violée et tuée, cherche à obtenir justice. Les investigations policières n’ayant pas permis de confondre l’auteur du crime, elle finit par sombrer dans la désespérance et un cynisme diogènien.
L’intérêt de ce film, hormis le jeu des acteurs (Oscar de la meilleure actrice pour Frances McDormand), l’humour souvent noir et l’atmosphère musicale envoûtante, porte sans doute sur l’évolution psychologique du personnage central. Mildred n’obtient pas justice pour sa fille, alors elle fait installer de gigantesques panneaux fustigeant le violeur et l’incompétence de la police. Et, de simple mère de famille qu’elle était, elle en vient à développer des pulsions criminelles. Ce basculement dans la violence s’opère par un processus de gradation. Dans un premier temps, elle agresse physiquement son dentiste ; ensuite, elle met le feu au poste de police ; finalement, accompagnée d’un comparse, elle s’en va assassiner un inconnu présumé coupable de viol.
Cette dernière séquence du film, d’ailleurs, renvoie au phénomène du « transfert ». Parce qu’on ne peut pas atteindre l’agresseur directement, on exécute la vengeance sur quelqu’un d’autre, celui qui est à notre portée. Shakespeare, dans son Jules César, met en scène un cas de transfert plutôt déroutant. La plèbe, voulant venger la mort de César, tombe par hasard sur un badaud qui a la malchance de porter le même nom que l’un des conjurés : Cinna. Et parce qu’il porte ce nom-là, il va, aux yeux de cette foule enragée, symboliser le coupable et subir le châtiment à sa place (Acte III, scène3). Nous observons, au quotidien, d’autres cas de transfert. Par exemple, le salarié qui se fait rabrouer par son patron toute la journée et qui, le soir, va se venger sur sa femme et ses enfants.
Tout cela parce que l’envie de vengeance n’est pas satisfaite.
Vivre malgré une offense non réparée
Le personnage de Mildred, un caractère déterminé et cynique, peut heurter à certains moments. Totalement indifférente aux autres, elle n’est portée que par l’obsession de confondre le meurtrier de sa fille. Et, pourtant, on détecte en filigrane cette infinie tristesse qui caractérise le moindre de ses mouvements, la moindre de ses paroles. Le film s’ouvre avec un chant d’opéra. Un chant qui vous arrache des larmes : « The last rose of summer » (la dernière rose d’été) et cet incipit révèle la trame de l’intrigue. Et on comprend tout de suite, dès cette ouverture, que l’on va assister à une tragédie. En l’occurrence, la tragédie d’une mère qui lutte contre les vents contraires pour obtenir réparation pour sa fille.
Que dit ce chant ? Qu’un être n’a plus sa place dans ce monde et qu’il est temps pour lui de partir…
C’est la dernière rose de l’été.
Abandonnée toute seule en fleur.
Toutes ses jolies compagnes,
Sont parties ailleurs et fanées ; (…)
Puisque sommeillent tes compagnes
Va donc les rejoindre ! (…)
Oh ! qui voudrait bien habiter
Ce monde triste et désolé ?
Mildred est cette rose sur le déclin. Cette fleur évanescente. Etrangère dans ce monde dans lequel elle ne peut plus s’épanouir, elle s’enfonce dans une obsession de plus en plus prégnante. Et elle dépérit. Elle se désagrège psychologiquement au point de s’engager dans la voie du crime.
Sont-ce là les effets d’une injustice subie ? Ou sont-ce les conséquences d’une incapacité à aller au-delà du désir de vengeance ? La question, en définitive, est de savoir si c’est le déficit de justice qui transforme Mildred en criminelle, ou si ce déficit ne fait que révéler le fond de sa nature. Les tragédies de la vie, auxquelles nous sommes tous confrontées tôt ou tard, nous transforment-elles ou révèlent-elles qui nous sommes réellement ? Selon la Bible, « la souffrance peut faire qu’un sage se comporte comme un fou » (Ecclésiaste 7 :7).
La vengeance à tous prix : un cercle infernal
La vengeance à tous prix est un processus dont l’issue échappe à tout contrôle, à tout entendement. Alfred de Musset l’exemplifie en ces termes : « Que de haines inextinguibles, implacables, n’ont commencé autrement ! (…) Voilà les guerres de famille, voilà comme les couteaux se tirent. On est insulté, et on tue ; on a tué et on est tué. Bientôt les haines s’enracinent, on berce les fils dans les cercueils de leurs aïeuls, et des générations entières sortent de terre l’épée à la main. » ( Lorenzaccio, Acte II, scène 6)
Ce qui est, en vérité, problématique, ce n’est pas la quête de justice, ou même l’aspiration à la vengeance. Ce qui est problématique, c’est l’obsession. L’obstination en dépit de la réalité qui nous susurre d’arrêter et de recommencer à vivre. L’impossibilité de voir le monde autrement que sous le prisme de cette obsession. Ne penser qu’à ça. Ne plus vivre que pour ça. Et c’est, en définitive, la raison pour laquelle Mildred se perd. Le désir de vengeance est la seule chose, désormais, qui la maintient debout. Et c’est pour cela qu’elle est cette rose à qui l’on demande de faire ses adieux à la vie.
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