Démosthène, l’homme qui a vaincu son bégaiement...
... et a parlé avec l'Histoire
Focus sur le bègue devenu le plus grand orateur de tous les temps!
Deu-Deu-Deu… Démosthène beu-bégayait… Il lui était impossible d'aligner quelques mots sans blocages ou saccades. Combien de rires et de moqueries n'a-t-il pas essuyés dans sa prime jeunesse ! Et pourtant, nombre d'historiens s'accordent sur le fait qu'il est devenu le plus brillant orateur de l'Antiquité. Ses déclamations étaient tellement vibrantes que Denis D'Halicarnasse a écrit : « Il y avait quelque chose de surnaturel et de prodigieux dans les discours de cet orateur. » (Opuscules rhétoriques, Démosthène, tome II, Les Belles Lettres, 1988).
Comment un tel changement a-t-il pu s'opérer ? Comment cet enfant chétif, timide et bègue, a-t-il pu devenir le monument historique que l'on connaît ?
Qui était Démosthène ?
Démosthène est né à Athènes en l'an 384 avant Jésus-Christ. À l'âge de 7 ans son père meurt et lui lègue sa fortune. Cet argent, néanmoins, sera dilapidé par ses tuteurs, ce qui contraindra le jeune Athénien à intenter plusieurs actions en justice pour récupérer son patrimoine.
Après avoir recouvré une infime partie de son lègue, il aspire à entreprendre une carrière politique, mais son défaut d'élocution constitue un obstacle rédhibitoire. Que faire donc ? Renoncer à son ambition ou lutter pour vaincre son bégaiement ? Il décide de lutter et s'astreint à un programme draconien pour corriger son handicap.
Des pierres contre le bégaiement
Des années après être devenu un grand orateur, il va confier à son ami Démétrios qu'il s'entraînait à parler avec des cailloux dans la bouche. La bouche pleine, il récitait des tirades entières. Il le faisait également en grimpant des côtes en courant, afin de fortifier sa poitrine et mieux contrôler son souffle. Plutarque affirme même qu'il se serait enfermé pendant 2 ou 3 mois dans une salle souterraine afin de s'exercer à parler normalement. Durant cette période, il travaillait sous l'égide de son ami Satyros, un acteur comique.
Des débuts hésitants
Selon Plutarque, sa première déclamation devant le peuple a été un calvaire, tant pour lui.., que pour le peuple ! Il est raillé, conspué, la foule se focalisant exclusivement sur l'étrangeté de son langage. Finalement, il s'éclipse sous les huées. Mais, nonobstant cet échec, il ne va pas renoncer. Il va à nouveau faire face à la foule, encore et encore, jusqu'à acquérir de l'assurance et une véritable aisance de langage. Après s'être illustré dans des procès privés, il se tourne naturellement vers la politique, son idéal. Il avait vaincu son bégaiement et pouvait désormais défendre publiquement et oralement ses idéaux, au premier rang desquels se trouvait la démocratie.
La rage de parler
La parole est la capacité d'expression de l'homme et seul l'humain a été doté de cette faculté. Avec la parole, il va pouvoir communiquer avec les autres. Il va également pouvoir exprimer ses besoins, ses désirs, ses sentiments, ses revendications… Mais si cette parole ne peut pas s'exprimer naturellement, c'est une souffrance indicible, une tragédie profonde que ne peuvent vraiment comprendre que ceux qui la vivent. La pensée est un souffle qui erre dans le cerveau, attendant le moment où elle pourra jaillir, se matérialiser par des mots, et naître dans le monde. Mais quand cette pensée est entravée, captive, empêchée de s'exprimer, elle gémit. Je-Je-Je vvvv... Tandis que certains s'impatientent, tandis que d'autres rient, la pensée du bègue gémit et pleure au fond de lui. Et il est le seul à entendre ce gémissement, et il ne peut rien y faire…
Quand on est bègue, on a la rage de parler.

Le secret de la victoire de Démosthène
Pourquoi Démosthène a-t-il remporté son combat contre le bégaiement ? À cause de ses cailloux dans la bouche ? À cause de ses heures de récitation ? À cause de ses footing sur la montagne ? Tous ces exercices ont indubitablement joué un rôle, mais ce n'est pas pour ça qu'il a gagné. Alors, pourquoi ?.. Pour comprendre, on va poser la question suivante : si vous dîtes à une personne bègue : « Il y a un moyen de te débarrasser de ton handicap. Fais le tour de la ville en courant sans t'arrêter, et à la fin ton bégaiement aura disparu. » D'après vous, est-ce qu'il va le faire ? Tout dépend de ceci : est-ce qu'il vous croit ou est-ce qu'il ne vous croit pas. S'il est persuadé qu'en faisant le tour de la ville, comme vous le dites, il sera délivré, il le fera, malgré la contrainte. Mais s'il n'y croit pas, il ne fera pas. Et aujourd'hui beaucoup de personnes bègues ont renoncé à chercher des solutions pour vaincre leur handicap, parce qu'elles ne croient pas ou plus qu'elles peuvent s'en débarrasser. Or, pourquoi Démosthène s'est-il astreint à un régime aussi tyrannique ? Parce qu'il y croyait. Parce qu'il était persuadé qu'en s'entraînant de la sorte, il corrigerait ses défaillances. Parce qu'il était convaincu que son handicap n'était pas irréversible. Et une telle détermination ne pouvait s'appuyer que sur une conviction : la victoire contre le bégaiement se gagne d'abord dans l'esprit, et après seulement se traduit par un langage plus fluide. Car le bégaiement n'est rien d'autre qu'un fauve qui a élu domicile dans l'esprit, et qui, depuis des années, règne dans le subconscient. Il ne peut être chassé, mais il peut être dompté, apprivoisé, et pour cela il faut reprendre le contrôle de son mental.
Lutter contre le bégaiement est un des challenges les plus difficiles qui existe. Quelques-uns ont vaincu cet handicap, beaucoup ont perdu. Mais tous ceux qui ont essayé pourront se rasséréner avec ces paroles de Démosthène :
Il faut, quand le combat s'engage, que les uns soient vaincus, les autres vainqueurs. Mais je n'hésite pas à dire que, des deux côtés, ceux qui meurent sur le champ de bataille ne sont pas compris dans la défaite, et ont tous également la victoire.
"La parole intérieure démange" (Victor Hugo)
Commentaires (1)

- 1. | 19/10/2016
Bonne chance à l equipe.