Le Radeau de la méduse : une tragédie humaine
Avez-vous déjà visité le musée du Louvre ? Si oui, peut-être avez-vous remarqué au premier étage cette peinture somptueuse : le Radeau de la méduse. Une toile de cinq mètres par sept réalisée par le peintre romantique Théodore Géricault. Mais, quel secret cache ce chef-d’œuvre de l’art pictural ? Rappel des faits…
Un peintre passionné et horrifié

Paris, 1816. Installé dans son atelier, le peintre Géricault se fait livrer des membres coupés. Ces membres proviennent de l’hôpital Beaujon qui jouxte son atelier. Que veut-il faire de ces membres ? S’en servir pour réaliser le tableau le plus saisissant et le plus réaliste qui soit. Un tableau qui retranscrira le plus abominable fait divers connu d’alors. Come Fabre, conservateur au musée du Louvre, explique que Géricaullt veut « se mettre en condition mentalement, faire un travail à la fois physique et spirituel pour essayer d’être au plus près de l’ambiance qu’il y avait ».
De quelle ambiance parle-t-il ?
Un fait divers qui horrifie la France
Nous sommes le 2 juillet 1816. La frégate La Méduse, avec à son bord quatre cents passagers, s’échoue sur le banc d’Arguin, près de la Mauritanie. Ils sont à deux jours de mer de la côte, mais il n’y a pas assez de canots pour tout le monde. Seuls les nobles sont donc autorisés à embarquer et, pour les 147 autres, on réserve un radeau construit à la hâte au moment du naufrage : le fameux Radeau de la méduse.

‘Ils partirent 147 et revinrent 10’
Effectivement, sur les 147 passagers du radeau, seulement 10 arrivent à bon port. Que s’est-il donc passé ? Deux des rescapés, Alexandre Corréard et le chirurgien Savigny, acceptent de parler à la presse et ce qu’ils vont raconter fait froid dans le dos. Dans son livre Les Naufragés de la Méduse, Jacques-Olivier Boudon relate : « Ils n’avaient quasiment rien à manger, dès les premières nuits ils s’entretuent et dans les 48 heures qui suivent ils s’entredévorent. » Pour sauver leurs vies durant la traversée, ils se sont entre-tués et dévorés les uns les autres pour se nourrir. Quand le navire l’Argus les retrouve 10 jours après leur départ, ils ne sont plus que quinze. Sur les quinze, cinq mourront très peu de temps après.

Théodore Géricault s’empare du drame
Après avoir eu connaissance de ce fait divers macabre, le maître romantique décide de l’immortaliser en composant une œuvre qui marquera les esprits. Il se lance alors dans une enquête minutieuse : il lit les rapports, interroge des rescapés, se rend à la morgue pour examiner les corps et réalise un modèle réduit du radeau. Par cette démarche, le peintre dévie quelque peu de son école de pensée, le Romantisme, pour rechercher, dans ce cas de figure, une reproduction réaliste. Le réalisme, car il ne s’agit ici ni d’une fiction, ni d’un fantasme, mais d’un fait divers qui interroge sur la nature profonde de l’être humain.
De quoi est capable l’être humain face au pire ?
C’est, en définitive, la question que pose Le Radeau de la méduse. L’humain, qui en de nombreuses circonstances, est capable d’empathie et d’abnégation, peut également, lorsqu’il se sent acculé, se transformer en bête féroce. Créer, en un instant d’horreur, un espace dans lequel il n’y a plus ni règle ni morale, juste un sauvage instinct de survie. La loi du plus fort, ou, pour reprendre les termes de Darwin, la survivance du mieux adapté. Le Radeau de la méduse c’est, disons-le, la parenthèse historique au cours de laquelle la civilisation humaine a perdu, en quelques jours seulement, les principes d’équité et de solidarité qu’elle avait mis des millénaires à adopter.