Dossier Handicap: partie 2
Discrimination envers les handicapés :
Un défi humain
Avoir un physique attractif facilite la réussite. À contrario, affecter des formes plus disgracieuses ou une caractéristique en dysharmonie avec les codes sociaux de la beauté rendra plus difficile l’intégration au sein de la société. Ce constat est corroboré par plusieurs études, y compris le rapport « Le physique de l’emploi » publié par l’OIT (Organisation Internationale du Travail) en 2016. Meilleures chances d’être recruté, plus grandes possibilités d’évolution au sein de l’entreprise, mais également un salaire plus élevé, sont autant de privilèges que, selon ces études, la beauté permet de bénéficier. Pour le sociologue Jean-François Amadieu, auteur du livre La société du paraître, c’est toute la vie sociale et professionnelle qui est impactée par la beauté : « Pour donner un ordre de grandeur, si vous mettez une photo sur votre CV et que vous avez l’air obèse, si vous êtes une femme cherchant à être hôtesse d’accueil, vous avez six fois moins de chances qu’une femme mince, affirme-t-il. Un homme un peu rond aura, quant à lui, trois fois moins de chances s’il veut être commercial en région parisienne. Mais ça peut aussi être votre visage, qui va plaire plus ou moins.., et avec des écarts de salaire. » Citant l’économiste américain Daniel Hammermesh, auteur du livre La beauté paie, il précise que les femmes belles ont un salaire 8% plus élevé que les femmes moins belles.
Il va de soi que, dans une société qui érige, même de manière insidieuse, la beauté en norme d’excellence, les personnes qui présentent un handicap seront forcément limitées dans leurs perspectives de réussite. Il ne s’agit évidemment pas de soutenir qu’étant beau on va forcément réussir ou qu’étant laid ou handicapé on va forcément échouer. Non, mais il s’agit de constater que dans la société et, dans la vie en règle générale, les choses sont plus difficiles pour certaines personnes que pour d’autres. C’est ce que l’on appelle la discrimination. « Discrimination » vient du latin discriminis, qui signifie « séparation ». C’est le fait de se séparer de certaines gens, de mettre de côté des personnes qui présentent des caractéristiques ne répondant pas à nos critères d’appréciation.
Alors, pourquoi en est-il ainsi fondamentalement ? Pourquoi la société, disons même, pourquoi l’être humain a-t-il tendance à s’attacher aux gens beaux et à s’indifférer des gens moins beaux, voire handicapés ? Dans cet article nous allons essayer de discerner le motif sous-jacent de cette attitude.
La discrimination… depuis la nuit des temps
L’être humain a toujours été naturellement attiré par ce qui est beau, par ce qui brille. Et, de facto, la laideur, le handicap ont toujours suscité un certain rejet. Et ce rejet s’est manifesté, sous une forme ou sous une autre, à travers les siècles. Dans l’Antiquité, des civilisations telles que la Grèce « exposaient » les enfants handicapés à la naissance, c’est-à-dire qu’elles les laissaient mourir. Cette discrimination envers les handicapés apparaissait aussi dans la sphère religieuse, puisque la Bible elle-même prévoyait des restrictions pour les personnes présentant un handicap. Nous lisons en Lévitique chapitre 21 versets 16-21 :
L'Eternel parla à Moïse, et dit: Parle à Aaron, et dis: Tout homme de ta race et parmi tes descendants, qui aura un défaut corporel, ne s'approchera point pour offrir l'aliment de son Dieu. Tout homme qui aura un défaut corporel ne pourra s'approcher: un homme aveugle, boiteux, ayant le nez camus ou un membre allongé; un homme ayant une fracture au pied ou à la main; un homme bossu ou grêle, ayant une tache à l'œil, la gale, une dartre, ou les testicules écrasés. Tout homme de la race du sacrificateur Aaron, qui aura un défaut corporel, ne s'approchera point pour offrir à l'Eternel les sacrifices consumés par le feu; il a un défaut corporel: il ne s'approchera point pour offrir l'aliment de son Dieu.
Autrement dit, les handicapés ne pouvaient servir Dieu en tant que prêtres.
Ce qui était sous-entendu dans cette réprobation physique, c’était l’idée que le handicap représentait une sorte de malédiction divine. Vous êtes handicapé parce que vous expiez une faute que vous auriez commise (ou que vos ascendants auraient commise). Cette pensée a perduré tout au long des âges, notamment au Moyen Age. Il ne faut, par conséquent, pas s’étonner que, dans la société judéo-chrétienne qui est la nôtre, il demeure des relents de cette idéologie.
En matière de discrimination envers les handicapés, la science aussi a joué un rôle proéminent. L’Origine des espèces de Charles Darwin en 1859 a mis en exergue la théorie selon laquelle seul un type d’individus est véritablement bénéfique à la race humaine. Pour Darwin, la nature fonctionne selon le principe de la survivance du mieux adapté, autrement dit, certaines catégories d’êtres humains ne sont pas aptes à survivre et sont appelées à disparaître avec le temps.
Au final, ces différentes théories vont servir, au moins en partie, de justification à la politique criminelle du National-socialisme. Ainsi, durant la Seconde Guerre mondiale, les nazis vont mettre en œuvre un programme d’euthanasie, le plan Aktion T4, visant à tuer tous les handicapés physiques et mentaux, adultes et enfants. On estime, en conséquence, qu’environ 300 000 handicapés ont été exterminés par le régime hitlérien.
Et, qu’en est-il de nous ? Pourquoi préférons-nous la compagnie des gens beaux à celle des gens qui le sont moins ?
La physiognomonie, une « science » au service de la discrimination
À un moment donné, les théories et comportements discriminatoires évoqués plus tôt se sont matérialisés dans une méthodologie nommée : « physiognomonie ». La physiognomonie prétendait déterminer le caractère et la personnalité d’un individu grâce à l’examen de ses traits physiques. Il était ainsi possible, disait-on, de déceler si une personne était vertueuse ou vile. Si cette théorie a connu son essor au XIXe siècle, principalement grâce aux travaux du criminologue Cesare Lombroso, elle a en réalité accompagné la pensée humaine depuis la nuit des temps. Les Babyloniens adhéraient à l’idée que les traits du visage d’un homme pouvaient révéler, non seulement son caractère, mais également sa destinée. Par ailleurs, les rouleaux de la Mer morte, découverts en 1947, contenaient des documents d’analyse de la physionomie, montrant que les Esséniens du 1er siècle croyaient aussi en cette doctrine.
Nous touchons là au cœur du problème : même si cette pseudo-science a été réprouvée par une multiplicité de juristes et de philosophes, il n’empêche qu’elle a tout simplement mis en lumière la pensée profonde de l’être humain. La pensée qui consiste à croire instinctivement qu’un individu qui a de beaux traits du visage est plus vertueux qu’un individu laid. Parce que, en définitive… lorsqu’un chef d’entreprise a face à lui deux candidats à un même poste, pourquoi aura-t-il naturellement tendance à privilégier celui qui est beau ? Ce n’est pas uniquement parce qu’il se dit que, commercialement, la belle secrétaire sera plus bankable. C’est aussi parce que son inconscient lui susurre que la belle sera plus compétente, plus agréable à vivre, plus honnête. C’est ça LA raison fondamentale. On associe la beauté et la laideur à des considérations morales, et c’est cela qui rend le combat contre la discrimination si difficile, car la discrimination est incrustée dans les profondeurs mêmes de l’âme humaine. Faites ce test : cherchez sur Google les synonymes du mot « beau ». Vous trouverez ceci :
On constate ici que le beau est associé à des vocables, tels que « bon », « brave », « cultivé » « bien élevé », etc. Voyons à présent l’adjectif « laid » :
Cette fois-ci on retrouve, rattachés au mot « laid », des termes comme : « désagréable », « malhonnête », « immoral », etc.
Ces associations sont-elles uniquement d’ordre terminologique ? Non. Elles sont également d’ordre social. Ces synonymes traduisent les qualités ou les défauts que nous associons instinctivement aux personnes que nous rencontrons. Autrement dit, le combat contre la discrimination n’est pas d’abord politique ; il n’est pas d’abord philosophique ; il n’est pas d’abord social ; il est d’abord humain, personnel. C’est d’abord le combat de chacun d’entre nous, un combat dont le champ de bataille se situe au plus profond de notre âme. Et ce combat nous enjoint de changer le regard que nous portons sur l’être humain.
La lutte contre la discrimination est donc toujours d’actualité et cette voie a été tracée par ceux qui, par le passé, ont combattu la physiognomonie.
Victor Hugo face à la discrimination envers les handicapés
Quelle est le roman le plus célèbre de Victor Hugo ? Soyons plus précis : quelle est, après Les misérables, le roman le plus célèbre de Victor Hugo ? Notre-Dame de Paris. Et qui est le héros de ce roman ? Un handicapé ! Un handicapé nommé « Quasimodo ». Bossu et difforme, Victor Hugo le décrit comme la personnification de la laideur physique. L’auteur emploie l’expression « la perfection de sa laideur », tandis que des passants disaient de lui qu’il était « aussi méchant que laid ». On retrouve dans cet ouvrage les thèses physiognomoniques, à savoir : parce que Quasimodo était laid, il était forcément méchant.
Et justement, Victor Hugo, tout en accentuant la laideur de Quasimodo, va créer un contraste avec un autre personnage : Phoebus. Il va exacerber sa beauté, sa splendeur, mettant ainsi en parallèle deux figures antinomiques : Phoebus, le magnifique, et Quasimodo, le monstrueux. Et, entre ces deux hommes, le poète place une femme, et même, l’amour d’une femme : Esméralda. Car Phoebus et Quasimodo sont, l’un et l’autre, amoureux d’Esméralda. Mais, à l’amour duquel des deux la belle gitane va-t-elle répondre ? Forcément, naturellement, instinctivement, son cœur va se tourner vers le beau, vers Phoebus, Phoebus le soleil, tandis qu’elle va totalement ignorer Quasimodo.
Comment s’achève cette histoire ? Esméralda va être accusée à tort d’un crime et condamnée à mort. Et c’est à ce moment-là que le masque du physique va tomber et que la vérité des coeurs va paraître au grand jour : Phoebus va tourner le dos à Esméralda, tandis que Quasimodo va tout faire pour lui venir en aide. Dans un premier temps, il va la cacher dans la cathédrale. Et, lorsqu’elle sera rattrapée par les tortionnaires et conduite à la potence, il va physiquement se battre pour tenter de la sauver de la mort.
Quasimodo tentant de sauver Esmeralda
Après la mort d’Esméralda, fou de désespoir, il va s’allonger sur sa tombe et se laisser mourir. Deux ans après, nous dit le roman, en ouvrant la tombe, on va retrouver les squelettes d’Esméralda et de Quasimodo l’un sur l’autre. Voilà de quelle façon Victor Hugo a détrompé les théories de la physiognomonie, en montrant par cette histoire que la sincérité et la vertu ne sont pas liées au physique. Quasimodo le laid, le monstre, le méchant, le borgne, le handicapé.., était en réalité celui dont l’amour était sincère et authentique. Esméralda avait choisi Phoebus, attirée par sa beauté, mais il s’est avéré que c’est celui qu’elle rejetait qui l’aimait sincèrement. « Tant que je vivrai mon cœur t’aimera, et quand je serai mort, mes os chercheront les tiens dans les tombes », avait écrit, quelques siècles auparavant, le poète Jamil à son aimée, Bouthayna.
Au-delà de soi-même
N’est-ce donc qu’une simple fiction ? Non, car chaque jour nous observons dans la société des femmes et des hommes qui accomplissent des choses, alors qu’ils n’ont pas été privilégiés par la nature. Chaque jour, on voit des personnes en situation de handicap qui, malgré les discriminations qu’elles peuvent subir, vont de l’avant et refusent de baisser les bras.
Alors, disons-le une fois encore : le handicap n’est pas une tare, ni une malédiction. Le handicap est un défi. C’est l’occasion de faire avec peu ce que les gens ordinaires font avec beaucoup et, donc, de ressentir une fierté à la mesure de l’effort que l’on a dû fournir. C’est l’occasion de regarder la vie en face et de tenir tête à l’adversité. Aller au-delà de ses peurs, au-delà de ses doutes, au-delà de ses tristesses, et accomplir, jour après jour, pas après pas, son rêve intérieur. Denise, une femme paraplégique aujourd’hui décédée, s’était ainsi confiée : « À cause de mon handicap, j’ai erré seule dans cette vie, sans véritables amis, et sans un homme pour m’aimer. Mais j’ai fini par faire de mes fragilités une force, et parce que j’étais seule, je suis devenue plus forte que ceux qui étaient entourés. »
Pour certains la vie est un jeu, pour d’autres elle est un combat. Mais, dans tous les cas, aller au-delà de soi-même est une gloire.
A lire aussi: Dossier Handicap 1: Le Handicap, pourquoi en parler?
Commentaires (5)

- 1. | 24/05/2018

- 2. | 24/05/2018
Merci.

- 3. | 25/05/2018
Le but de cet article n'est nullement de heurter la sensibilité de la communauté catholique, ce site respecte une stricte neutralité concernant les questions religieuses et politiques. Le texte biblique sus-cité est mentionné dans un contexte historique[b][/b], évoquant les influences qui ont pu, à travers le temps, impacter le regard porté sur les handicapés.
Vous précisez que ce passage est interprétatif et ne doit pas être pris au premier degré. Certes, mais, dans le passé, comment était compris ce passage? Comme de nombreux passages de la Bible, il était lu au premier degré. Aujourd'hui l'Eglise a évolué dans son interprétation des Ecritures, mais dans les temps passés, par exemple au Moyen Age, des versets étaient souvent pris au pied de la lettre. Inutile de vous énumérer tous les cas: la traite négrière (malédiction de Canaan), persécution de Copernic et de Galilée (L'Eglise affirmait que la Terre était au centre de l'univers), le rejet des homosexuels, etc.
Il ne s'agit nullement dans cet article de vilipender la Bible ou l'institution religieuse, mais d'expliquer comment la lecture de ces versets a pu, parfois, influer en négatif sur la manière dont ont été considérées les personnes handicapées.
Salutations

- 4. | 29/05/2018
Merci pour vos deux articles qui ont pour intérêt de parler et aux handicapés et aux personnes qui ne le sont pas.

- 5. | 27/09/2018
with the format to your blog. Is that this a paid subject or did you modify it yourself?
Either way stay up the nice quality writing,
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Merci pour ce très bel article qui apporte une réflexion profonde sur ce sujet qui je pense nous concerne tous. J'ai quand même un bémol. Vous citez la bible en affirmant qu'elle discrimine les handicapés. Ne pensez-vous pas que vous risquez de heurter les croyants, les catholiques en particulier?
Merci