Dossier Handicap: partie 1
Le Handicap, pourquoi en parler ?
Parce que j’étais handicapé, la vie m’a enterré
J’ai été, dès lors, piétiné par ceux qui ne voyaient que mon handicap
Mais ce que la vie avait oublié en m’enterrant, c’est que j’étais une graine ;
Je me suis enraciné à cette terre qui m’étouffait
Et, arrosé par mes propres larmes, j’ai éclos, j’ai jailli de cette terre,
Et je suis devenu cette plante sublime qui rayonne au soleil.
Parlez-vous spontanément et facilement du handicap ?
En fonction de votre éducation, du contexte social et culturel dans lequel vous évoluez, la réponse sera positive ou négative. Mais, fait est de constater qu’au XXIe siècle la thématique du handicap demeure un sujet tabou. Un sujet tabou, alors que la majeure partie de la société française est directement ou indirectement concernée par le handicap. En effet, selon les chiffres, pas moins de 12 millions de Français ont un handicap, c’est-à-dire, 1 personne sur 6. Cela signifie que tout le monde a, dans son entourage, au moins une personne en situation de handicap. Mais, en règle générale, ce handicap n’est pas visible. 80% de ces personnes ont des limitations se rapportant à une maladie invalidante, un trouble psychique, une déficience auditive ou intellectuelle. Seulement 20% ont un handicap visible, c’est-à-dire un handicap moteur ou visuel.
Parler du handicap ? Oui, mais avec des pincettes…
Puisque le handicap est omniprésent dans notre société, pourquoi en parler demeure-t-il une gageure ?
Essentiellement parce que c’est toujours pour nombre de gens un sujet délicat. Imaginez un champ de mines que vous devriez traverser, en veillant à ce que votre pied ne heurte pas un explosif. De même, dans la société, il y a des sujets qui réclament davantage de circonspection dans le choix de la phraséologie et de la terminologie. Ainsi, on a par exemple observé ce glissement euphémique voulant qu’on ne parle plus des personnes handicapées, mais des personnes en situation de handicap.
De fait, les personnes valides, d’une part, craignent de commettre un impair en n’employant pas les bons termes, ou tout simplement de heurter la sensibilité d’une personne touchée par cette problématique. Les personnes en situation de handicap, pour leur part, ont tendance à aborder leur déficience avec parcimonie, car elles ne connaissent pas le degré de tolérance de leurs interlocuteurs. La discrimination, telle une épée de Damoclès, justifie cette prudence. Michel Mérien, Directeur des Ressources humaines, soulève ainsi cette problématique : « Si un salarié ressent des difficultés à son poste de travail [du fait de son handicap] et n’ose pas en parler, de peur d’être licencié par exemple, ses difficultés vont s’aggraver de toutes les façons dans le temps. Il risque alors de se retrouver confronté à une inaptitude de façon brutale. »
Mais, globalement, la question du handicap reste difficile à aborder, car elle dépasse la sphère médicale pour toucher celle de la discrimination sociale. Ainsi, le vocable « handicap » renvoie intrinsèquement à une terminologie péjorative : invalide, honte, infériorité, sous-homme, malade, fou, incapable, etc.
Faut-il donc parler du handicap ? Définitivement oui, et nous consacrons sur ce site un dossier au handicap. Ce dossier, composé de cinq articles, s’agglomère autour de deux thématiques : la discrimination et la formation. Ce premier article rappelle pourquoi parler du handicap est primordial.
Nous devons parler du handicap pour trois raisons essentielles et qui peuvent se résumer en trois termes : discrimination, progrès, estime de soi.
Parler du handicap pour combattre la discrimination
Parler du handicap paraît d’autant plus nécessaire qu’on observe depuis plusieurs années une évolution négative. Le handicap est depuis peu la première cause de discrimination en France, selon un rapport rendu public le 11 avril 2018 par Jacques Toubon, défenseur des droits. Patrick Gohet, son adjoint en charge des discriminations, a précisé : « Le handicap est longtemps resté second, derrière l’origine. En 2017, il passe en effet en première position avec 21,8% des motifs de saisine contre 17,8% pour l’origine. Et, dans la majorité des saisines, tout critère de discrimination confondu, c’est l’emploi qui est le domaine principal dans lequel les discriminations interviennent (50% des dossiers). »
La discrimination, quelle que soit la forme qu’elle prenne, se nourrit souvent de la mécompréhension et de la peur. Parler du handicap, dans le but de distinguer la réalité des stéréotypes et des préjugés, peut rasséréner les personnes valides et les inciter à plus intégrer les handicapés. Parler, expliquer, clarifier, préciser, est donc le seul véritable moyen de déminer le champ de mines du handicap.
Et d’ailleurs, l’Histoire rappelle que c’est quand le handicap est devenu une thématique littéraire que des progrès ont été initiés au sein de la société.
Le handicap : un sujet littéraire
Il fut un temps où la société se désintéressait de la question du handicap et, donc, du sort des handicapés. Ce mutisme prêtait, de fait, le flanc à tous les malentendus possibles, ainsi qu’aux pires préjugés. Un handicapé mental était, par conséquent, apparenté à un « simple d’esprit », un « idiot ». Le handicapé physique, quant à lui, représentait souvent un poids social dont personne, à part peut-être la famille, ne voulait se charger.
Bien sûr, entre le Haut Moyen Âge et le XIXe siècle, des initiatives sporadiques en faveur des handicapés avaient été prises. Citons les « Hôtel-Dieu » ou encore le Comité de mendicité mis en place durant la Révolution française. Mais ces initiatives se sont perpétuellement heurtées aux écueils d’une société qui, fondamentalement, ne voyait pas l’intérêt d’apporter son assistance à des individus jugés inutiles. La population handicapée suscitait souvent de la peur, une peur parfois mystique d’ailleurs, poussant les autorités à la mettre à l’écart de la société, voire à l’enfermer. C’est précisément dans cette visée que sera créée, à la fin du XVIIe siècle, la Salpêtrière. Conscients de la détresse de ces hommes et de ces femmes désavantagés par la nature ou par un accident de la vie, d’éminents auteurs vont tenter de leur apporter secours, parfois à leur détriment. C’est ainsi qu’en 1749 Diderot va effectuer plusieurs mois d’emprisonnement pour avoir publié Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient.
Ainsi, globalement, tout au long de l’Histoire les handicapés seront laissés à l’abandon et on les retrouvera, par exemple, dans la Cour des Miracles de Victor Hugo.
À partir du XXe siècle, un changement se produit. Observez la courbe ci-dessous, représentant le Ngram Viewer du handicap :
Le Ngram Viewer permet d’observer l’évolution de la fréquence d’un mot dans les sources imprimées durant une période donnée. Et on remarque ici qu’à partir d’environ 1910 la courbe est ascensionnelle, on parle toujours plus du handicap dans la littérature française. Par quoi cela s’est-il traduit dans la société ? Par des progrès constants en ce qui concerne les droits des personnes en situation de handicap. Cela commence en 1909 avec la création des « écoles de perfectionnement » pour les enfants handicapés. Puis la tendance va se poursuivre avec une série d’autres initiatives, telles que : la Fédération des Mutilés du Travail (1921), l’Association des Paralysés de France (1933), la Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (1957), etc.
Il y a donc bien eu concomitance entre le fait de parler du handicap dans la littérature et les progrès réalisés en faveur des handicapés.
Un autre regard sur le handicap… un autre regard sur soi
Parler du handicap est une chose. En parler de la bonne façon en est une autre. Et parce qu’on ne parle pas toujours du handicap de la bonne façon, le handicapé ne se voit pas toujours de la bonne façon. En fait, à quoi pense un handicapé ? Même s’il est entouré d’une famille aimante, même s’il est pourvu d’amis fidèles, même s’il a une position au sein de la société, il n’empêche que, quelque part, dans la solitude de son être, dans le secret de sa pensée, il se sent toujours un peu différent ; un peu à part ; un peu incomplet ; un peu inférieur… Le fait qu’il vous manque quelque chose, physiquement ou mentalement, vous incite à ne pas vous sentir totalement homme ou totalement femme. Et c’est cette chose qui vous manque, qu’elle soit physique ou mentale, qui génère en vous un sentiment d’infériorité, voire une fragilité psychologique.
Mais allons au fond des choses… Aujourd’hui, une personne handicapée est définie comme une personne « atteinte d’une infirmité physique ou psychique ». Rappelons, par ailleurs, que ce n’est qu’au XVIIIe siècle que le mot « handicap » est apparu dans la langue française. Il désigne, fondamentalement, quelqu’un qui est en situation d’incapacité. Ce vocable, porteur d’une aura hautement péjorative, a conduit nombre d’individus à le rejeter. Beaucoup de gens atteints d’une déficience quelconque refusent d’être appelés ou considérés comme des « handicapés ». Mais, essayons de nous souvenir… que signifie véritablement le mot « handicap » ?
Quand on ne sait plus qui on est ni où on va, il faut revenir au point de départ, à l’origine des choses et nous rappeler qui nous étions au commencement…
À la genèse du mot « handicap »
Pour comprendre le sens absolu du vocable « handicap », il faut se tourner vers l’Angleterre du XVIe siècle. On pouvait régulièrement y observer des individus se livrer à un jeu populaire : le hand in cap. Le hand in cap se traduit en français par « la main dans le chapeau ». Cette pratique avait pour but de veiller à l’équitabilité des trocs. Lorsque des individus devaient s’échanger des objets, un arbitre était là pour s’assurer que la valeur des objets était équivalente et chacun des participants déposait une mise dans le chapeau.
Le hand in cap garantissait donc que personne ne serait pénalisé dans la transaction, il symbolisait la justice et ce qui est équitable.
Au XVIIe siècle, l’expression s’est métathèsée en un seul mot : handicap. Dès lors, il ne s’est plus simplement appliqué aux objets, mais également au sport, notamment les courses hippiques. De quelle façon ? Le principe du handicap était de veiller à ce que les choses soient équitables. Or, dans les courses, il s’avérait que certains chevaux étaient plus performants que les autres. Plus rapides, plus résistants. Face à eux, les autres montures n’avaient donc pas la moindre chance. Il a donc été décidé d’entraver les meilleurs chevaux, afin que tous les concurrents soient à peu près à égalité. Donc, soit on mettait sur les meilleurs chevaux un poids supplémentaire, soit on leur faisait parcourir une distance plus longue. Autrement dit, on handicapait les meilleurs chevaux pour que les moins bons puissent avoir une chance de gagner. En ce temps-là, on n’était pas handicapé parce qu’on était plus fragile, non, on était handicapé parce qu’on était meilleur que les autres. C’est cela la véritable signification du handicap.
C’est à partir du XIXe siècle que ce mot s’est également appliqué aux capacités d’un être humain, désignant ainsi une entrave ou un désavantage. Le mot « handicapé » a alors pris le sens de « désavantagé par rapport à » une norme préétablie. En définitive, « désavantagé par rapport aux autres ».
Comprendre l’origine de ce mot nous fait soupçonner quelque chose : ceux que nous percevons comme les plus faibles, les plus vils, les plus insignifiants, ne le sont peut-être pas en réalité. Si l’existence n’est pas absurde comme le prétendait Albert Camus, mais que les choses ont un sens, alors peut-être que le handicap a un sens. Peut-être que si l’on est handicapé, c’est parce qu’originellement on était meilleur et que ce que certains appellent Dieu, d’autres le Destin, d’autres la Nature, d’autres le Hasard, nous a entravé dans le but de rééquilibrer les choses… Qui sait ?..
Nous n’en savons strictement rien. Mais ce qui est impératif, c’est de refuser la honte et le rejet de soi-même. Ce qui est impératif, c’est de refuser de se penser inférieur aux autres, parce qu’il nous manque quelque chose, physiquement ou mentalement. Ce qui est impératif, c’est de porter sur soi un regard juste, de prendre en compte ses faiblesses, mais aussi ses forces, et de se construire au quotidien avec ce que la vie nous a donné.
A lire aussi: Dossier Handicap 2: Discrimination envers les handicapés: un défi humain
Commentaires (5)

- 1. | 22/05/2018

- 2. | 22/05/2018
Tout d'abord, merci pour votre avis et votre témoignage. Nous sommes tout à fait d'accord avec vous sur le fait que parler d'un groupe en particulier peut le stigmatiser. La question est: comment on en parle et pourquoi on en parle. On en parle parce qu'aujourd'hui, en France, le handicap est redevenu la principale cause de discrimination. Quand une personne en situation de handicap se présente pour un emploi et que cet emploi lui est refusé du fait de sa déficience, on peut considérer qu'il s'agit d'une injustice et que cette injustice doit être dénoncée. Dénoncer non pas dans le but d'accuser qui que ce soit, mais dans le but de rassurer, de rappeler que l'on peut être handicapé et actif sur le plan professionnel.
Par ailleurs, l'Histoire atteste que les choses ne se font jamais naturellement. Les grands bouleversements, les progrès sociaux, le recul des préjugés.., toutes ces avancées ont été accomplies parce que des hommes et des femmes ont décidé de parler.
Très cordialement

- 3. | 23/05/2018
Je viens de lire l'article, ainsi que vôtre commentaire, hors je ne suis pas totalement d'accord comme le dit @Math-infos contact le fait de parler de sujet polémique permet de délier les langues et également d'en avoir moins peur (pour le cas du handicap il s'agis d'une peur ancré depuis des décennie) étant handicapé de naissance j'ai subis le regard moqueur et les brimades lors de mon enfances et encore aujourd'hui avec internet la vie n'ai pas toujours facile mais avec le temps on s'habitue au regard des autres.
Se genre d'article permet entre autres d'avoir un autre point de vue sur le handicap et permet à ceux en situation de handicap comme ceux qui ne sont pas handicapé d'avoir un autre point de vue et de changer leur façon de pensé. Je suis jeune et je débute dans la vie donc je n'ai pas vôtre vécu je me doute que ça n'ai pas toujours facile mais avec le temps et l'évolution technologique et l'évolution des moyens de communications, j'espère que dans quelques dizaine d'année on puisse dire haut et fort je suis "Handicapé", et avoir un emploi ainsi qu'un certain appuie sociale et médicale convenable.
Je vous souhaite bonne continuations et bon courage pour la suite, en espérant que cet article comme beaucoup d'autre sauront vous faire voire le "bon" côté de se style de publication visant à expliquer et informer les gens.
Bonne journée.

- 4. | 23/05/2018
Je vous ai compris.
Ce qui m'a gené dans votre article c'est que ça donnait l'impression qu'il fallait parler de son handicap. Je comprends ce que dit Keinaku, et il a raison. Mais je crois aussi que c'est plus une question générationnelle. Au temps où j'atais jeune on ne parlait pas du handicap comme aujourd'hui. Il n'y avait pas cette prise de conscience. Donc les jeunes handicapés n'ont pas subi exactement ce que nous nous avons subi. Je crois que l'essentiel c'est le respect de chacun, le respect de la différence, sans faire trop de tintamarre. Ce que j'écris est un peu confus, mais ce que je veux dire en réalité c'est ceci: beaucoup de handicapés vivent avec l'illusion qu'ils sont des gens parfaitement ordinaires. Certains ont fait ce choix-là. J'ai fait ce choix-la. Et ce qui m'a un peu perturbé dans votre article, c'est qu'il sous-entend un peu qu'il faut assumer d'être un handicapé. Mais sur le fond je comprends ce que dit cet article et il apporte un réflexion interressante.

- 5. | 24/05/2018
C'est un article très interressant a lire, mais je me demande si c'est vraiment pertinent de parler du handicap. Est-ce que en parler ne stigmatise pas davantage? en faisant des handicapés des gens a part dans la société? J'ai moi-même un handicap depuis une cinquantaine d'années, j'ai appris à vivre avec et moi ça me met mal à l'aise d'être considéré comme un handicapé... même si je le suis! Mais j'avaoue que j'ai trouvé très interressant ce que vous expliquez sur l'origine du mot handicap et aussi sur les avancées sociales. Mais j'ai plus tendance à croire qu'il vaut mieux laisser les bonnes volontés se faire naturellement.